De la réforme du lycée à son application sur le terrain
La réforme des enseignements de la musique au lycée initiée à la rentrée 2010-2011[1] se met progressivement en place.
Si les nouveaux textes tentent de s’adapter aux mutations de la société moderne, leur application pose de réelles difficultés et surtout, les modes de recrutement en seconde et l’image des filières n’incitent pas les élèves à choisir l’enseignement de spécialité musique en cycle terminal du lycée.
Il en résulte une inquiétude croissante quant à l’avenir de la discipline au lycée et de grandes frustrations par rapport à l’important investissement des enseignants pour faire vivre la musique dans les établissements scolaires, lieux privilégiés d’un accès démocratique à la culture.
Parmi les causes de ces difficultés et de ces désaffections, quatre problèmes majeurs sont soulevés :
- L’enseignement d’exploration « Arts du son » ne permet pas de créer un vivier pour l’enseignement de spécialité en première L (manque d’ambition et manque d’investissement des élèves, enseignement non évalué)
- Les élèves vraiment motivés par cette orientation n’en ont souvent pas la possibilité pour des raisons de carte scolaire ; en effet, cet enseignement d’exploration n’est malheureusement pas systématiquement dérogatoire.
- Les élèves brillants choisissent la filière S.
- L’autonomie et donc, la mise en concurrence des établissements poussent les proviseurs à adopter les moyens les plus divers pour attirer les élèves dans leur lycée.
Voici quelques témoignages de professeurs en lycée qui illustrent ces constats
Je suis prof en lycée (option de spécialité L Musique) depuis 22 ans... les choses évoluent, pas vraiment dans le bon sens... les « arts du son » c'est à la limite du tourisme.
Quand on dit aux (futurs) élèves : « venez, venez, vous ne serez pas notés, ce n'est pas grave si vous ne connaissez rien en musique, vous pourrez arrêter à la fin de la seconde », il ne faut pas s'attendre à avoir beaucoup d'élèves motivés par la matière...!
Quand en plus, il s'agit d'un lycée de centre-ville qui est le seul du département à proposer cet enseignement, l'argument pour mettre un pied dans le susdit lycée est tout trouvé: on va faire « Arts du son » on pourra arrêter à la fin de la l'année, on n'est pas noté, etc.
Donc : on a plein de « gratouilleurs » immatures qui ne s'intéressent pas à grand-chose ; j'ai l'impression avec ma classe de seconde d'enseigner en collège… alors oui on fait des choses, plein de choses ! on rencontre des luthiers, des accordeurs de piano, des compositeurs, des chanteurs, des ingénieurs du son… on s'amuse à sonoriser des extraits de films, on aide à l'organisation de spectacles en collant des affiches, en mettant en page la plaquette, en distribuant des programmes....et on s'apprête à réaliser LE dossier « Arts du son »… comme ils veulent : dossier papier, multimédia, exposition, CD… peu importe, comme ils veulent… le Problème c'est que justement ils ne veulent pas ! Cela demande trop de travail…
Et puis, il y a les parents… certains parents qui ne veulent pas que leur cher petit fasse quoi que ce soit en dehors des heures de lycée, or les « arts du son » c'est annualisable… et les professionnels qui viennent parler de leur métier (gratuitement la plupart du temps, y'a pas d'argent, on le sait !) ne sont pas forcément libres le mardi de 8h à 9h… et les spectacles, c'est souvent le soir…
Je pourrais m'accommoder de tout ça… Mais le VRAI Problème, c'est que personne n'envisage une première L pour l'année d'après…
L'année dernière (année faste!), sur 25 élèves « arts du son » j'en ai retrouvé huit en 1ère L Musique, ceux qui avaient suivi l'enseignement facultatif...! ce qui est un comble parce c'est l'enseignement facultatif qui prépare aux choses sérieuses. A ces huit élèves se sont rajoutés deux élèves directement rentrés en 1ère. J'ai donc cette année une classe de dix élèves ! c'est le minimum syndical pour éviter la suppression de la section, il paraîtrait même que la barre fatidique soit maintenant de douze…
Cette année j'ai dix-sept élèves en « arts du son » (le petit nombre d'élèves dans cet enseignement est un autre problème ; j'en parlerai plus loin). Et d'après les premiers sondages (mais qui vont sans doute se confirmer), quatre élèves seulement envisagent une 1ère L Musique, dont un qui ne va sûrement pas être admis en 1ère… donc me voilà avec la perspective de trois élèves l'année prochaine (effectifs qui seront sans doute un peu regonflés par l'arrivée de nouveaux directement en 1ère, mais ce sera de l'ordre de deux ou trois de plus…)
Si j'avais quarante élèves en « arts du son », je pourrais espérer avoir douze élèves en 1ère… alors pourquoi n'en y a-t-il que dix-sept ? C'est peut-être un problème propre à Bordeaux…
- Les classes de collège CHAM (classe à horaires aménagés) sont en majorité peuplées de jeunes de milieu « bourgeois » qui n'envisagent pas de salut en dehors d'un Bac S ..... Or, il y a un autre grand lycée juste à côté du Conservatoire (et à côté du collège CHAM) qui propose des aménagements d'horaires et qui n'offre que des sections scientifiques
- Aménagements d'horaires proposés aussi par un autre lycée, celui-là dans un quartier dit « populaire » et que la municipalité aimerait revaloriser.
Autant d'offres qui font concurrence à mon lycée…
Bernadette Dubos, Lycée Camille Jullian, Bordeaux
C'est l'option facultative en seconde qui est le vrai vivier de la musique au lycée pour les classes de 1ère et terminale (et notamment pour l'option de spécialité). L'existence de celles-ci et leur contingentement étant à la discrétion des proviseurs, c'est beaucoup au niveau local qu'il faut se mobiliser. L'art du son ne m'apporte quasiment aucun élève en 1ère alors que l'option facultative de 2nde, beaucoup !
- Le cours d'art du son est ce qu'il est, certes, mais après tout des collègues s'en débrouillent très bien selon les endroits. Le stage inter académique a fait apparaitre des expériences positives ici ou là. Ce n'est pas le cas chez moi (j'étais même prêt à lâcher l'affaire) mais ne tirons pas sur des heures de cours, c'est toujours ça à prendre. Veillons SURTOUT à ne pas se faire remplacer l'option facultative de 2nde par l'art du son !!!
- Les mathématiques devenues optionnelles en 1èreL est un vrai coup bas pour la spécialité musique. Souvent les quelques bons élèves qui choisissent une filière L choisissent les mathématiques en option de spécialité et pas la musique. Il faut que les mathématiques redeviennent obligatoires en 1ère L !
- L'ouverture de l'option de spécialité aux S.... évidemment, encore et toujours.
Vincent Lonjon, Cherbourg
L’élève sera-t-il plus autonome qu’avant dans ses conditions d’apprentissage ? (Apprentissage de l’autonomie)
Aura-t-il plus de moments scolaires où il pourra confronter son point de vue à celui de ses camarades ? (Apprentissage du compromis)
Aura-t-il davantage le choix de son parcours, de ses matières dans lesquelles il évolue ? (Apprentissage de la maturité)
Aura-t-il la possibilité de repartir à zéro, s’il le souhaite, dans des matières où les pré requis sont importants (langues, maths) (possibilité d’une seconde chance)
Sera-t-il évalué autrement qu’avec une moyenne de notes sur 20 qui ne prend pas en compte les éventuelles réussites dans une matière mais font plus office de classement des élèves les uns par rapport aux autres ? (Le Canada, les USA ont une autre façon de noter) (Que signifie une « moyenne » ?)
L’élève aura-t-il moins l’impression d’être dans un « parcours obligé » jusqu’au baccalauréat où pour lui l’essentiel est de rester avec ses camarades et de passer une année la plus conviviale possible ? (Instinct grégaire)
En ce qui concerne l’enseignement de la musique au lycée, le professeur pourra-t-il plus facilement mettre en œuvre une pratique instrumentale qui réponde à la demande des élèves ? (Encourager les motivations)
Une création artistique d’un élève de L - option spécialité continuera-t-elle à être évaluée au baccalauréat à la hauteur de 7,5% de l’évaluation globale de l’option (3 points du « prolongement » sur 40) ? (Encourager la démarche artistique)
Pierre Crispi Lycée Claude Bernard Villefranche sur Saône
Des propositions sont faites par les enseignants de permettre aux élèves scientifiques de suivre un enseignement de spécialité musique, ou encore aux élèves de L musique de suivre un enseignement complémentaire « maths physique » orienté sur le son et l’acoustique. En effet, il ne suffit pas d’avoir des bases techniques pour faire un bon ingénieur du son, mais il est nécessaire d’avoir travaillé sa perception auditive et d’avoir une large culture musicale.
Une nouvelle crainte apparaît avec la menace de suppression de l’option facultative qui permet actuellement aux élèves qui n’ont pas choisi l’enseignement de spécialité L musique d’élargir leur formation personnelle et de valoriser ce parcours. Par exemple, certaines écoles post bac réclament une mention et privilégient ceux qui ont fait de la musique.
Par ailleurs, l’option facultative constitue une chance de pouvoir se cultiver dans le domaine artistique et de faire valoir ses compétences artistiques.
Que nous réserve l’avenir au lycée ? C’est la question que nous nous posons tous, en espérant que nos politiques et décideurs nous entendent et réservent à la musique la place qu’elle mérite dans l’éducation des futurs citoyens.
Merci aux collègues qui ont accepté de faire part de leur expérience, de leur point de vue pour présenter ces premiers constats et questionnements suite à la mise en application de la réforme des lycées.