Optionnalisation : pourquoi l'APEMu s'y oppose
LETTRE du 16/11/2003
en réaction au BO du 30/10/2003
sur l’optionnalisation des disciplines artistiques
À l’attention de Monsieur Jacques CHIRAC,
Président de la République,
Palais de l’Élysée
55 Boulevard Saint Honoré
75008 Paris
Lyon le 16/11/2003,
Monsieur le Président,
Nous nous permettons de vous écrire afin de vous faire part de notre vive émotion due à la parution au bulletin officiel de l’Éducation Nationale du 30 octobre 2003 de nouvelles dispositions pour les disciplines artistiques.
En effet, voilà un an nous avions déjà réagi au rapport sur « l’Éducation aux arts et à la culture » co-rédigé par les ministères de l’Éducation Nationale et de la Culture. Dans celui-ci, outre le fait que la situation dépeinte nous semblait loin de la réalité du terrain, nous avions relevé la proposition faite de rendre optionnelles les disciplines artistiques aujourd’hui obligatoires : l’éducation musicale et les arts plastiques. Les raisons invoquées nous semblaient infondées et surtout dangereuses puisqu’elles induisaient une fragilisation des enseignements artistiques. Notre réaction ne réside pas dans la défense de positions corporatistes. Nous nous sommes engagés à développer notre discipline pour que tous les élèves de France puissent avoir une connaissance aussi riche que possible dans le domaine du son.
Depuis cette lettre, tous nos courriers sont restés sans réponse. Nous n’avons plus été ni consultés, ni reçus. Aussi c’est avec beaucoup d’amertume que nous voyons publier un texte qui met en place pour la rentrée prochaine une « optionnalisation » des enseignements artistiques dans la classe de troisième. Au-delà de la méthode, c’est l’esprit de ce texte que nous souhaitons dénoncer. Si nous ne sommes pas hostiles à l’introduction de nouvelles disciplines artistiques, nous ne comprenons pas pourquoi cette formidable et indispensable ouverture se fait au détriment du travail existant. Les enseignants se sont beaucoup investis dans leurs établissements pour que les arts aient toute leur place. Cette disposition vient réduire à néant leurs efforts et la qualité des enseignements dispensés. De plus, nous ne comprenons pas pourquoi ce texte vient à l’encontre des programmes nationaux qui cadrent notre action auprès des élèves et surtout au mépris de la Loi n°88-20 du 6 janvier 1988 relative aux enseignements artistiques, je cite un extrait du Chapitre I, article 3 : « Ces enseignements comportent au moins un enseignement de la musique et un enseignement des arts plastiques. Ils ont pour objet une initiation à l’histoire des arts et aux pratiques artistiques. »
Si notre association prend position et agit avec autant de passion sur ce dossier, c’est parce que nous souhaitons défendre une certaine idée de l’école. À travers cette « réforme », ce sont tous les collégiens qui seront touchés. Aujourd’hui plus que jamais, nos élèves de troisième et plus particulièrement ceux des établissements difficiles participent activement aux cours et aux activités annexes que nous proposons : chorale, ensemble instrumental, club chansons, ateliers de pratiques artistiques, etc. Nous savons bien que pour ouvrir les élèves aux arts, cela nécessite un travail rigoureux qui s’inscrive dans la durée.
Nous restons, comme toujours, à votre disposition pour développer nos arguments. Nous vous remercions par avance de l’attention que vous porterez à ce courrier. Dans l’attente d’une réponse, nous vous prions, Monsieur le Président de la République, de recevoir l’expression de notre plus haute considération.
Fernando Segui
Président de l’APEMu
LETTRE de février 2004
en réponse au Conseil Economique et Social
"L’enseignement des disciplines artistiques à l’école".
À l’attention de Monsieur Jean-Marcel BICHAT,
Conseil économique et social,
9 place d’Iéna
75116 Paris
Monsieur le Rapporteur,
Nous avons lu attentivement votre rapport "l’enseignement des disciplines artistiques à l’école". De nombreux points nous ont paru intéressants et pertinents. Cependant, nous souhaitons réagir à certaines constatations et propositions.
Si le constat d’ensemble que vous dressez nous semble juste à certains égards, la conclusion que vous avancez concernant "l’inégalité dans l’accès" aux enseignements artistiques nous semble concerner plus particulièrement l’école primaire. Ces propos ne tiennent pas compte de la réalité actuelle de l’enseignement des disciplines artistiques au collège. En effet, tous les collégiens bénéficient de la 6ème à la 3ème d’une heure hebdomadaire d’arts plastiques et d’une heure d’éducation musicale.
Dans votre volonté d’améliorer le dispositif actuel, il nous semble, au contraire, que vos positions vont l’affaiblir. En effet, dans votre point 1.B, vous proposez de "regrouper les deux heures obligatoires dédiées aux enseignements artistiques sur une seule discipline…". Cette disposition semble aller à l’encontre de votre volonté de "développer quantitativement et qualitativement les disciplines artistiques à l’école".
- Quantitativement, imposer une seule discipline enseignée au lieu des deux existantes, nous semble en soi une régression. Pourquoi ne pas proposer de conserver les deux disciplines existantes (éducation musicale et arts plastiques) et de permettre aux élèves de choisir des parcours artistiques s’ouvrant sur d’autres formes d’expressions ?
- Qualitativement, nous ne comprenons pas comment vous arrivez à la hauteur des ambitions affichées en remplaçant un enseignement existant et déjà bien ouvert (Cf. les programmes officiels d’éducation musicale et d’arts plastiques concernant les nouvelles technologies, la danse, l’audiovisuel, …) par ce qui tendrait vers de l’animation périscolaire (en dehors de tout programme disciplinaire garantissant acquisitions, progressions et évaluations à l’échelle nationale). Depuis 30 ans, un corps d’enseignants spécialisés s’est constitué. L’expérience unique menée dans tous les collèges français et les résultats obtenus, nous conforte dans l’idée que les enseignements artistiques comme les autres enseignements requièrent des compétences disciplinaires et pédagogiques de haut niveau. Nous ne pouvons soutenir votre proposition de "diversifier les filières d’accès à l’enseignement des disciplines artistiques…" (point 1.C). Enfin, pour ce qui est des lycées, vos constats et vos conclusions sont étonnants. En effet, avec les nouveaux programmes, les enseignements artistiques sont devenus moins "théoriques" et plus "pratiques". Témoins les épreuves au baccalauréat des options facultatives et obligatoires qui demandent aux élèves de se produire davantage en interprétant des œuvres librement choisies et des "variations" composées par eux-mêmes. Pour que cela puisse être possible, il apparaît, encore une fois, que les élèves soient accompagnés par un professeur compétent en formé dans la discipline.
En conclusion, nous nous étonnons de ne pas avoir été consultés lors de la rédaction de ce rapport. Dans un souci d’homogénéisation de l’enseignement des disciplines artistiques, nous ne comprenons pas pourquoi le système actuel du collège, le plus abouti et le plus égalitaire tant au niveau de la formation des enseignants que de leur pratique, ne constitue pas la référence de base de tout travail de réflexion.
Nous restons à votre disposition pour poursuivre et développer ce travail. Dans l’attente d’une réponse, nous vous prions, Monsieur le Rapporteur, l’expression de notre très haute considération.
Le président de l’APEMU,
Fernando SEGUI
POURQUOI L’APEMU S’Y OPPOSE
Les enseignements artistiques à l’horizon 2004
Les élèves de 3ème choisiraient 2 heures d’enseignement artistique parmi les champs suivants :
- Arts visuels
- Arts du son
- Arts du spectacle vivant
- Histoire des Arts
Ce qui peut expliquer l’optionnalisation :
- Le rapport sur les disciplines artistiques commandé en 2002 par le Ministère dont les propos sont sévères quant à la situation actuelle des enseignements artistiques. (cf rapport sur les Arts et la Culture à l’école…)
- Le projet de mise en place des enseignements "choisis"
- Le déficit en personnel, conséquence des 15/18 heures
- L’ouverture vers un pré-recrutement pour les options artistiques de lycées
- Les travaux de la commission de relecture des programmes (ceux de 3ème étant jugés trop vagues)
- La remise en cause du collège unique
Ce qui vaut que l’on défende l’enseignement de la musique en classe de 3ème :
- L’orientation précoce en filière technologique privera une partie des élèves d’un accès à l’art, tout comme l’optionnalisation privera l’ensemble des élèves d’une éducation musicale indispensable à leur développement culturel.
- Audio-visuel, arts du cirque, théâtre, danse, Histoire des Arts sont déjà dans les programmes de français, d’histoire, d’EPS et d’éducation musicale.
- On a déjà la possibilité d’aborder ces champs en ateliers.
- La Troisième est souvent le symbole chez les élèves d’une maturité, d’une réflexion plus fine, ce qui permet un approfondissement et la mise en valeur des notions acquises pendant trois ans.
- L’âge des élèves permet une utilisation optimisée de la voix, particulièrement pour les garçons ayant mué.
- La Troisième, palier d’orientation, est inscrite dans la continuité des cycles 6° et 5°-4°.
- Cette continuité permet de développer une culture commune et un vécu artistique. L’art, en associant rigueur, plaisir partagé et sensibilité, contribue fortement à la construction d’un adolescent.
Ce qui vaut que l’on défende la musique : (musique dans l’institution, musique pour elle-même, musique comme outil, ...)
- musique dans l’institution :
- La musique est dans les programmes.
- La musique pendant 4 ans avec intégration au brevet nous fait appartenir au "socle commun".
- musique pour elle-même :
- L’aspect spontané de la musique (un des modes d’accès) place les élèves à égalité, hors niveau scolaire (élèves en insertion et autres peuvent s’y retrouver en réussite).
- Elle rend possible une pratique importante.
- Elle laisse espérer une progression, même lente.
- Elle montre l’importance de la voix comme outil d’expression.
- musique comme outil :
- La musique permet d’aborder d’autres domaines (image etc.)
- C’est un langage, donc un moyen d’expression
- Elle offre des passerelles vers d’autres compétences et/ ou domaines d’enseignement: par exemple la littérature et la poésie (création de chanson), l’histoire-géographie (gospel/esclavage, flamenco/musique arabe et indienne, la technologie et la physique (construction d’instruments) , la danse et le théâtre (mise en scène pour le spectacle de la chorale)…
- Elle développe concentration, mémoire et faculté d’analyse pendant une écoute ou l’apprentissage d’une chanson.
- Les différentes activités musicales (chant, créativité, percussions, claviers, Tice,) renforcent, par la multiplicité des actions qu’elles impliquent, la construction de l’élève, le développement de son équilibre.
- Elle conjugue travail individuel et collectif, c’est-à-dire respect et liberté de l’individu d’une part et développement de la notion de groupe tendu vers un même but.
Le professeur d’Education Musicale :
- Suivre les élèves pendant 4 ans fait de nous un interlocuteur incontournable, véritable fil d’Ariane, témoin du développement et de la maturité de chaque élève.
- Préparer, donner le goût de la musique, du chant, aux futurs lycéens ET aux futurs adultes
- Le professeur d’éducation musicale est souvent l’interlocuteur privilégié lors de la participation du collège à des manifestations (mairie, associations diverses…) et il participe activement à l’ouverture du collège sur l’extérieur.
Ce que l’on peut proposer comme alternative à l’optionnalisation :
IL S’AGIRAIT DANS TOUS LES CAS DE GARDER LA MUSIQUE COMME BASE AUX PROJETS AVEC DIFFERENTES POSSIBILITES :
— Une heure d’enseignement plus une heure optionnelle telle qu’elle est entendue dans le projet en cours
ou
— Une heure d’enseignement plus des ateliers comme aujourd’hui
ou
— Intensification des liens musique/autres arts au sein de l’enseignement musical.
Association des professeurs d’Education Musicale
Le 1er décembre 2003